Je reprends ici en les actualisant et en les complétant les explications sur ce que j’ai appelé la masse monétaire libre et ses relations avec la croissance, ce qui est un sujet particulièrement important surtout depuis une dizaine d’années…
Les concepts utilisés dans le cadre du monétarisme sont souvent difficiles à comprendre pour les personnes qui n’ont pas de culture en ce domaine mais il suffit de prendre un exemple concret tiré du corpus des théories économiques bien connues pour pouvoir assimiler facilement ces nouvelles connaissances…
Dès que le paysan de Böhm-Bawerk a vendu sa récolte au marché de la ville voisine, ses billets en poche, il achète une charrue (pour augmenter sa production, sa productivité, et ses bénéfices) au vendeur de matériel agricole qui commande 2 charrues à son fournisseur qui commande des socs au forgeron qui commande de l’acier, etc.
L’argent circule ainsi rapidement entre les uns et les autres et tout le monde travaille et gagne de l’argent, comme en France pendant les 30 Glorieuses.
Pendant les années suivantes, le paysan de Böhm-Bawerk continue à réinvestir ses bénéfices en capital productif et tout le monde dans la région en fait de même.
Des banques et des caisses d’épargne ouvrent alors des agences qui font circuler l’argent encore plus rapidement entre ceux qui en ont mais qui n’ont pas de projets d’investissement et les investisseurs qui manquent de capitaux, ce qui a permis au paysan de Böhm-Bawerk d’emprunter de l’argent à sa banque pour acheter un tracteur sans avoir eu besoin d’attendre d’avoir assez épargné pour en financer l’achat.
Tout va donc très bien pour tout ce petit monde jusqu’au jour où des hommes politiques venus de la capitale ont dit qu’il faudra payer des impôts nouveaux pour financer des services dits publics qui permettront entre autres de conquérir de nouveaux marchés à l’international et de vivre mieux.
Le paysan de Böhm-Bawerk, méfiant, n’a pas confiance en ces projets qui l’inquiètent.
Au lieu d’investir à nouveau, il préfère augmenter son épargne pour faire face à une détérioration prévisible de sa situation et tout le monde dans la région réagit comme lui.
En conséquence, l’argent ne circule plus, ou presque plus. L’épargne (de précaution) augmente.
Les clients du paysan de Böhm-Bawerk lui achètent moins de produits, et il en est de même pour tous les autres entrepreneurs.
La production stagne, ainsi que les revenus et la situation risque de s’aggraver au point de dégénérer en crise.
C’est simple.
Tout est simple, comme le disait et le répétait Milton Friedman qui ne comprenait pas pourquoi les gens ne comprenaient pas les développements de ces théories monétaristes.
Transposons maintenant cette petite histoire simplifiée au niveau macro-économique…
Seuls les Etats-Unis fournissent des séries de données sur la longue période (depuis 1959) facilement téléchargeables (grâce à notre ami Fred de Saint Louis) en particulier sur les agrégats monétaires, ce qui permet d’étudier ces problèmes monétaires sur des bases fiables.
Les dépôts des ménages américains (des Etats-Unis) dans les caisses d’épargne sont comptabilisés dans l’agrégat M2-M1.
Il apparait clairement sur ce premier graphique que la croissance du PIB réel augmente quand M2-M1 diminue, et inversement, ce qui est la parfaite transposition macro-économique du comportement du paysan de Böhm-Bawerk,
Document 1 :
Plus précisément : ce n’est pas exactement la variation de l’agrégat M2-M1 (d’une année sur l’autre en pourcentage) qui génère la variation en sens contraire du taux de croissance du PIB réel, mais la différence entre cette variation de l’agrégat M2-M1 et celle du taux de croissance du PIB réel, c’est à dire ce que j’appelle la masse monétaire libre.
En effet, ce qui est important, c’est la différence entre le taux de croissance du PIB réel et la variation de l’épargne des ménages : s’ils augmentent leur épargne davantage que leurs revenus réels, la croissance du PIB diminue, et inversement.
Cette loi est mieux vérifiée sur la période plus récente à partir de 2000, c’est-à-dire après la période de forte inflation des années 70 et de désinflation par la suite, ce qui permet de la mettre en évidence a posteriori.
Le coefficient de corrélation de Karl Pearson utilisé avec Excel est de – 0,8 (plus précisément de – 0,76) pour cette période (en ce XXI° siècle) ce qui confirme indubitablement l’existence de cette corrélation inverse,
Document 2 :
Il est encore plus élevé pour la période postérieure à juillet 2012 car la crise dans l’euro-système a eu des répercussions (anxiogènes d’un évènement exogène) aux Etats-Unis en 2011 qui ont provoqué une augmentation de l’épargne des Américains qui ne s’est pas traduite logiquement par une baisse du PIB,
Document 3 :
Il est même possible de pouvoir suivre l’évolution du comportement des Américains avec 10 jours de décalage, les chiffres des agrégats monétaires (de la semaine se terminant le lundi de la semaine précédente) étant publiés le jeudi soir par la Fed, ce qui permet de bien anticiper les variations du PIB, toutes choses égales par ailleurs,
Document 4 :
Depuis août 2012, cette loi est vraiment parfaitement vérifiée avec un coefficient de corrélation de – 0,9 (plus précisément – 0,88 !) car la situation est enfin redevenue normale aux Etats-Unis comme le montrent clairement les courbes de tendances polynomiales.
Les derniers chiffres publiés par la Fed confirment une tendance à la baisse de la variation de M2-M1 à 5,0 % qui correspond à une variation de la masse monétaire libre M2-M1 de 2,8 % et à 2,2 % pour le PIB réel, exactement de part et d’autre de la médiane de 2,5 %.
En effet, la valeur critique de ces taux est de 2,5 % (d’une année sur l’autre) c’est-à-dire quand le taux de croissance du PIB réel est égal à l’augmentation de la masse monétaire libre.
Le taux de croissance du PIB réel est alors à son potentiel optimal à 2,5 % quand le taux d’augmentation de l’agrégat M2-M1 est de 5,0 %.
En effet, dans ce cas, l’augmentation de la masse monétaire libre est aussi de 2,5 %, c’est-à-dire la différence entre le taux d’augmentation de l’agrégat M2-M1 de 5,0 % et (moins) le taux de croissance du PIB réel de 2,5 %.
Les relations entre les variations de la masse monétaire, et plus précisément de l’agrégat M2-M1 et celles du PIB, c’est-à-dire de la Richesse des nations, et de leurs habitants, sont ainsi clarifiées.
Elles peuvent se formuler de la façon suivante : les variations du PIB réel sont inversement proportionnelles à celles de la masse monétaire libre M2-M1 qui est la différence entre la variation de l’agrégat monétaire M2-M1 et (moins) le taux de croissance du PIB réel (en pourcentages d’une année sur l’autre).
En d’autres termes, ce sont les variations de cette masse monétaire libre qui sont motrices : l’augmentation de la masse monétaire libre M2-M1 entraine une baisse de la croissance du PIB réel, et inversement, ce qui est bien visible en particulier aux Etats-Unis sur la longue période, depuis 1960 (c’est-à-dire depuis que ces données sont publiées) et surtout depuis 2000 et mieux encore depuis 2012.
Les autres agrégats monétaires, à savoir M1 et M3-M2 qui constituent avec M2-M1 la masse monétaire globale M3 ne devraient pas avoir d’effet sur la croissance tant que l’argent reste sain, c’est-à-dire tant qu’ils ne sont pas la source de création monétaire car l’argent sain est le premier pilier des Reaganomics disait Arthur, Laffer.
Cette loi de la masse monétaire libre est proche de la vieille théorie quantitative de la monnaie, ou de la vitesse de la circulation monétaire (V pour Velocity) qui s’énonce de la façon suivante : M*V = P*Q d’où V = PIB / M
Ainsi par exemple, en janvier 1960, le PIB nominal (annualisé) était de 543,3 milliards de dollars et M2-M1 de 158,2 milliards, ce qui correspond à une vitesse de circulation V = 543,3 / 158,2 soit V = 3,43
En mars 2017, le PIB nominal était de 19 007,3 milliards de dollars et M2-M1 de 9 942,8 milliards, ce qui donne une vitesse de circulation monétaire V = 1,91
Ainsi, au cours de cette période, la vitesse de circulation monétaire est tombée de 3,43 à 1,91 (il s’agit de multiples, donc sans unité) ce qui s’accompagne logiquement d’une baisse de la croissance du PIB réel de 4,3 % à 2,4 %.
Document 5 :
Pour restaurer une croissance du PIB réel dans les 4 % d’une année sur l’autre, il faudrait donc que M2-M1 diminue fortement pour restaurer une vitesse de circulation monétaire de l’ordre de 3,5.
Dans ce cas, M2-M1 devrait se monter aux alentours de 5 500 milliards de dollars.
Environ 4 400 milliards de dollars devraient donc sortir de M2-M1, soit pour être dépensés par les Américains en biens de consommation, soit en investissement en biens durables ou (et) immobiliers, soit dans la création d’entreprises ou en valeurs mobilières, ce qui stimulerait effectivement dans tous ces cas la croissance du PIB.
Tout est cohérent.
Cependant, plutôt que d’utiliser le concept de vitesse de circulation monétaire V = PIB / M il est préférable d’utiliser maintenant son inverse, à savoir le rapport M / PIB (en pourcentage) car il est ainsi plus facile de mettre en évidence les mécanismes de la croissance et de la création monétaire et d’en trouver les causes et les remèdes.
Cette loi de la masse monétaire libre n’a pas qu’un intérêt théorique : elle est particulièrement utile pour guider la politique économique afin que la croissance et l’emploi atteignent leur potentiel optimal sur la longue période.
Ainsi par exemple, les autorités américaines devraient inciter présentement les Américains à désépargner.
Autres exemples : Alan Greenspan qui maitrisait bien ces concepts monétaristes a bien pris soin, après les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par des musulmans, d’inciter les Américains à continuer à dépenser leurs dollars en voyageant, en allant au restaurant, aux spectacles, dans les centres commerciaux et de loisirs de façon à ce que la croissance du PIB ne faiblisse pas.
Il a agi pour que les Américains continuent à avoir confiance en l’avenir et qu’ils n’augmentent pas leur épargne.
A contrario, dans une situation comparable, après les attentats de Paris et de Nice perpétrés là aussi par des musulmans, les autorités françaises ont alimenté les réactions de défiance et de peur en faisant état d’une situation de guerre avec des soldats patrouillant en armes, ce qui a contribué à faire fuir les touristes, surtout étrangers, entrainant ainsi une diminution de l’activité économique alors que la croissance était déjà faible par ailleurs, les Français dépensant moins, donc épargnant davantage, ce qui n’a pas fait rebondir le PIB ni fait inverser la courbe du chômage.
La politique monétaire menée par la Fed après les turbulences financières de 2008, dite de Quantitative Easing (QE), a été particulièrement adroite car elle a fait circuler les disponibilités considérables qui y ont été placées par les banques et qui provenaient de trésoreries surabondantes de grandes entreprises américaines.
Ainsi par exemple, les disponibilités (cash) d’Apple dépassent actuellement 250 milliards de dollars ! … qui se retrouvent en grande partie sur des comptes bancaires aux Etats-Unis, et donc placés en partie auprès de la Fed qui a fait circuler cet argent dormant (c’est-à-dire auparavant non utilisé) en l’investissant en bons du Trésor et en titres hypothécaires.
La politique de QE menée par les Marioles de la BCE n’a en fait aucun point commun de base avec celle de la Fed et elle n’entraine aucun effet positif car la BCE ne dispose pas de réserves : elle prête des centaines de milliards d’euros à des banques qui les ont placés en retour à la BCE qui les utilise pour acquérir des bons de Trésors de la zone euro.
Il s’agit là d’opérations de cavalerie à grande échelle qui ne font qu’augmenter la masse monétaire (en M3-M2) et qui contribuent donc paradoxalement à faire diminuer la croissance du PIB !
Merci une fois de plus pour vos efforts pédagogiques.
Il y a quelques temps, vous aviez évoqué l’idée de faire un papier sur le Bitcoin (dont le cours s’envole). Avez-vous abandonné cette idée ? J’aurais été très intéressé de connaître votre opinion
Oui, mais je n’ai pas eu le temps de le faire !
Bonsoir, je fais un raccourci entre se paysan du Bohn qui commende 2 charrues au forgeron (l’économie tourne à la Friedman) je n’est rien à dire mais si demain le forgeron investie dans une imprimante 3d qui va fabriquer ses charrues à sa place, dans cette chaine le forgeron disparait et l’imprimante 3d n’ira pas chez le coiffeur au bien au restaurant pour faire tourné l’économie comment le forgeron aurait fait, je souhaite un jour Monsieur Chevalier que vous fassiez un graphique entre les années 80 à maintenant et voir l’évolution entre production humaine et nouvelle technologie dans cette masse monétaire ( et pour les sceptiques taper imprimante 3d ce n’est pas de la science fiction c’est une révolution et c’est maintenant )
le célèbre physicien Stephen Hawking a déclaré un jour sur la BBC que ( intelligence artificielle pourrait mettre fin à l’humanité )
Finis les teutons devant Trump et macron qui les doublent. Enfin ils vont lamentablement s’écraser.
Monsieur Chevalier, plus le temps passe et plus j’apprécie votre travail et la patience à expliquer à chacun fois les bon fondamentaux de l’économie et à ma connaissance votre travail est unique et cela mérite un petit geste d’encouragement ( même souvent moi et d’autre personnes nous sommes pas sur la même voix d’onde mais ceci fait partie aussi du charme d’un blog )
Bonjour M. Chevallier
Merci pour vos ananlyses.
Néanmoins cette approche macroéconomique ne peut fonctionner à mon avis que si les écarts de revenus et d’épargne entre les personnes n’est pas trop élevés. Comment demander de dépenser plus a la moitiés des américains qui sont déjà criblés de dettes ?
http://www.businessbourse.com/2017/05/26/dizaines-de-millions-damericains-delaisses-economie-a-terrasses/
S’ils le font ne sera-t-il pas pour acheter des produits chinois bon marché ?
En quoi cela fera alors augmenter la croissance américaine ? à part creuser le déficit commercial déjà abyssal des USA vis à vis de la Chine et du reste du monde…
Une analyse différente, faite par un américain sur les raisons de la faible croissance américaine :
http://la-chronique-agora.com/mexicains-chinois-volent-emplois/
Concernant les bénéfices d’apple déposé sagement dans les banques américaines qui redéposent à la FED, je n’en crois pas un mot, les bénéfices fait en irlande ou au luxembourg par les GAFA y reste ou vont dans un autre paradis fiscal…
http://oxfamfrance.org/actualites/justice-fiscale/pour-reduire-inegalites-luttons-contre-levasion-fiscale?gclid=CJPYzcOSnNQCFYc-GwodgH4MiQ
Merci.
Damien
PS la méga crise économique mondial arrivera en fin d’année ou en 2018, ayez de l’or physique d’ici là (même si je connais votre opinion sur ce sujet).
ça faisait longtemps que je n’avais pas de nouvelles de ces idiots d’Agora !
Trop fort Mr Chevalier,
Votre personnalité accompagnant cette pédagogie, un des rares moments de fermeté et de propulsion intellectuelle sur le net ( pour un nul qui vous lit depuis 10 ans)
Nul aussi parceque je ne comprends pas pourquoi « les Draghis » ne veulent pas de cette logique, alors qu’il vous connaissent ? ( je suppose que c’est nul comme question ?)
Aussi, je suppose : l’agrégat M2-M1 aux U. S. , comprends tout les dépôts américains dans le monde qui seraient alors comptabilisés aux U. S. ?
Merci