Banques : leverage, Greenspan, les marchés et HEC Lausanne

Une certaine réflexion s’impose une fois encore à propos des banques qui jouent un rôle fondamental dans l’économie car elles contribuent grandement à faire circuler l’argent quand tout va bien, ce qui optimise la croissance, sinon… ça va mal !

Les banques sont des entreprises dont l’activité principale consiste à prêter l’argent qu’elles ont et l’argent qu’elles n’ont pas mais qu’elles empruntent, soit à leurs clients soit sur les marchés à des taux dont ceux de base sont fixés par les banques centrales dans une structuration logique… et sans qu’il y ait de création monétaire dans un tel processus.

Tout ce système bancaire repose sur la confiance car prêter de l’argent que l’on n’a pas présente des risques quand des emprunteurs sont défaillants. Ces risques peuvent même être systémiques, c’est-à-dire que la défaillance d’une ou plusieurs banques peut mettre en péril une nation du fait de l’importance de la financiarisation croissante des activités économiques.
C’est la raison pour laquelle des limites s’imposent dans l’activité des banques.

Il est possible d’obliger les banques de respecter une réglementation lourde et complexe pour qu’elles ne fassent pas courir de risques systémiques mais ce type de solution n’est généralement pas efficace.
Il est préférable de laisser faire les marchés libres dans le cadre d’une règle simple et claire qui détermine tout un enchainement de comportements qui aboutissent finalement au résultat recherché.

Alan Greenspan excellait dans cet art.
C’est ainsi qu’il a proposé dans les années 80 cette règle simple : le total des dettes ne doit pas dépasser 12 fois le montant des (véritables) capitaux propres (c’est le leverage), ou son inverse, le ratio core Tier 1 qui doit être supérieur à 8 %.

Cette règle prudentielle d’endettement est une règle empirique de bonne gestion, qui, lorsqu’elle est respectée, donne généralement (statistiquement) de bons résultats : les banques qui ont un bon leverage sont fiables (comme par exemple la banque Martin-Maurel en France), et inversement, les banques qui ont un mauvais leverage ont souvent de gros problèmes qui se terminent mal (comme ce fut le cas avec la banque des frères Lehman).

Tout est simple.
Il s’agit là d’une première approche, mais fiable, dans l’analyse des risques bancaires.

Evidemment, les dirigeants de beaucoup de grandes banques ne veulent pas respecter ces règles car elles les obligeraient à avoir davantage de capitaux propres, et il est difficile dans ce cas de dégager des bénéfices dans les normes (avec un ROE supérieur à 10 %).
Ils disposent de groupes de pression très influents, d’autant plus facilement qu’il n’y a généralement pas de contre-pouvoir face à eux car les problèmes bancaires sont généralement assez complexes et difficilement compréhensibles pour la plupart des gens.
Seules des personnes qualifiées sont compétentes mais comme elles sont a priori issues du secteur bancaire, rares sont celles qui sont en mesure d’apporter un contre-pouvoir pertinent.

Dans ce cas, les seules personnes qui peuvent apporter ce contre-pouvoir à ces banksters sont celles qui œuvrent dans les banques centrales (à condition qu’elles soient compétentes !) et les investisseurs avisés (les bons spéculateurs qui voient loin et juste).

Alan Greenspan était compétent et bon pédagogue : il adorait expliquer les problèmes bancaires, financiers et monétaires de façon à ce que ces connaissances soient diffusées, ce qui contribuait à un meilleur fonctionnement des marchés.
Il n’en est plus de même actuellement car ces problèmes sont devenus stratégiques : seuls les gens de la Fed continuent à les maitriser mais sans les diffuser, et ils contribuent ainsi à ce que l’Amérique garde son leadership sur le monde (libre).

L’incompréhension généralisée de ces problèmes bancaires, financiers et monétaires est quand même étonnante…

Dans les années 60, tout le monde, y compris la ménagère, savait qu’en cas de dérapage sur les salaires ou sur les dépenses publiques par exemple, la sanction d’une dévaluation était ensuite inévitable, ce qui avait pour conséquence de réduire le contenu de son panier dans un avenir proche.

Les marchés sont totalement déboussolés : Citigroup, la banque qui a le meilleur leverage est considérablement sous-évaluée alors qu’à l’inverse Bank of New York Mellon est largement surévaluée bien que son leverage soit le pire des big banks américaines à risque systémique.
Seules Wells Fargo et JPMorgan ont un PER en concordance avec leur leverage.

Document 1 :

Banks 2016 Q1LeverageMarket Cap.Tangible eq.SpreadP/E Ratio
Citigroup9,63126,52169,441-42,9218,6
Goldman Sachs11,2864,5371,498-6,96817,58
Wells Fargo11,63244,92146,44298,47811,85
Bank of America11,96142,57168,673-26,10311,38
JP Morgan Chase12,71223,79176,77947,01110,37
Morgan Stanley14,6950,1551,479-1,32911,37
State Street17,6623,4513,0610,3913,57
Credit Suisse19,1926,2140,309-14,09926,21
Bk New York Mellon19,3742,4818,30324,17714,18
Crédit Agricole Group23,7922,8270,4-47,587,08
BPCE Natixis25,7813,2363,9-50,6713,23
BNP Paribas29,8754,8768,7-13,838,36
UBS31,3956,0229,85326,1678,73
Société Générale33,9826,9739-12,137,33
Deutsche Bank35,820,2447,3-27,06N/A

Les sommes sont en milliards de la monnaie nationale de ces banques.

Même les autorités dites académiques (les universitaires et autres spécialistes patentés) manquent cruellement de culture bancaire, financière et monétaire comme par exemple le Center for Risk Management at Lausanne, (HEC Lausanne en collaboration avec le NYU Stern’s Volatility Institute, de la NYU Stern, dirigé par le professeur Robert Engle lauréat du prix Nobel) qui publient des études sur les banques en prenant comme référence un (quasi) leverage constitué du rapport entre le total du bilan et la capitalisation boursière considérée à tort comme correspondant aux capitaux propres réels.
Il s’agit d’une série d’erreurs… qui aboutissent parfois à donner une image fidèle de la réalité en s’annulant !

En effet, en cas de Krach, c’est-à-dire de chute généralisée des cours des actions, les capitalisations boursières des big banks qui ne respectent pas les règles prudentielles d’endettement vont tendre vers zéro, ne laissant qu’une valeur à la casse : celle qui résulte des actifs tangibles (tangible equity) constitués des capitaux propres (part du groupe) diminués des actions de préférence, des titres folkloriques dits hybrides (des obligations considérées comme étant des actions) et des écarts d’évaluation (goodwill), comme je les calcule.
Dans ce cas, pour que ces banques ne sombrent pas en créant un risque systémique, il faut leur apporter des capitaux (colonne Syst Risk) de façon à ce que le leverage réel atteigne la norme de 10 édictée par Alan Greenspan (ou 12 à la limite).

Document 2 :

 Banks 2016 Q1Syst RiskLeverageMarket Cap.Tangible eq.
1BNP Paribas12529,8754,8768,7
2Deutsche Bank11135,820,2447,3
3BPCE Natixis91,725,7813,2363,9
4Crédit Agricole Group8823,7922,8270,4
5Société Générale85,233,9826,9739
6UBS58,131,3956,0229,853
7JP Morgan Chase43,512,71223,79176,779
8Credit Suisse33,519,1926,2140,309
9Bank of America3011,96142,57168,673
10Morgan Stanley21,914,6950,1551,479
11Wells Fargo21,611,63244,92146,442
12Bk New York Mellon15,519,3742,4818,303
13State Street917,6623,4513,06
14Goldman Sachs8,411,2864,5371,498
15Citigroup-2,59,63126,52169,441

Pour Citigroup, le chiffre négatif signifie que cette banque dépasse les exigences de ce bon vieux Greenspan de 2,5 milliards de dollars !

Curieusement, les résultats du Center for Risk Management at Lausanne sont proches des miens car les capitalisations des pires bad banks sont quand même inférieures à leurs actifs tangibles !

Il faudrait apporter 425 milliards d’euros aux 4 Gos banques françaises pour les sauver en cas de Krach contre 159 milliards de dollars pour les 8 big banks américaines, ce qui est du même ordre de grandeur que les chiffres avancés par la Fed, à savoir 120 milliards… et ce qui confirme une fois de plus la justesse de mes analyses qui se basent sur celles de ce bon vieux Greenspan.

Cliquer ici pour consulter le site du Center for Risk Management at Lausanne, (HEC Lausanne en collaboration avec le NYU Stern’s Volatility Institute, de la NYU Stern, dirigé par le professeur Robert Engle lauréat du prix Nobel)

10 réflexions sur “Banques : leverage, Greenspan, les marchés et HEC Lausanne”

  1. Bonjour,
    Vous dites :
    « les capitalisations boursières des big banks qui ne respectent pas les règles prudentielles d’endettement vont tendre vers zéro, ne laissant qu’une valeur à la casse : celle qui résulte des actifs tangibles »

    Or, il me semblait que depuis Mars 2009, les nouvelles normes comptables mises en place stipulaient que les valeurs mobilières n’étaient plus évaluées à leur valeur du marché. Est-ce vraiment le cas ? car dans une telle situation, la qualité des bilans deviendrait difficile à évaluer / facile à manipuler ?
    Merci

    1. Bonsoir Ab,

      Pour te donner une réponse un peu plus développer :

      Déjà il faut comprendre qu il existe plusieurs niveaux de fair value (trois pour être précis) selon IFRS 13. tu trouveras plus d informations ici :
      http://www.focusifrs.com/menu_gauche/normes_et_interpretations/textes_des_normes_et_interpretations/ifrs_13_evaluation_de_la_juste_valeur

      La notion de valeur de marché dépend donc du type de juste valeur qui est requis pour l actif financier. Mais ça ce n est juste que pour l évaluation des actifs.

      Ensuite, les instruments financiers sont eux comptabilisés selon trois méthodes d après la nouvelle norme IFRS 9 (remplaçant IAS 39):
      – les actifs financiers Held to Maturity sont comptabilisés selon la méthode du coût amortis
      – les actifs financiers disponible à la vente (AFS) dont les variations de juste valeur sont comptabilisées par le biais des capitaux propres (OCI pour être précis)
      – les actifs financiers Held for Trading pour eux les variations de juste valeur passent par le compte de résultat.

      Lors de la crise de 2008 : « L’ International Accounting Standards Board (IASB) a publié, le 13 octobre 2008, des amendements à IAS 39 « Instruments financiers : comptabilisation et évaluation » et à IFRS 7 « Instruments financiers : informations à fournir » qui permettent le reclassement de certains instruments financiers. Ces amendements à IAS 39 introduisent la possibilité d’effectuer des reclassements pour les sociétés qui appliquent les IFRS, ce qui était déjà prévu par les principes comptables généralement acceptés (GAAP ou generally accepted accounting principles ) aux Etats-Unis, dans de rares circonstances. »

      Source :http://www.focusifrs.com/menu_gauche/normes_et_interpretations/textes_des_normes_et_interpretations/amendements_a_ias_39_et_a_ifrs_7_intitules_reclassement_d_actifs_financiers

      Ce n était donc qu une mesure provisoire et exceptionnelle pour ne pas encore rendre les comptes des banques encore plus dégueulasse qu ils étaient déjà.

      Ta question est néanmoins pertinente, car comme tu l auras compris, lire un bilan bancaire et meme d une entreprise est devenu un exercice de plus en plus compliqué de nos jours. Et les normes’IFRS laissent une place de plus en plus grande à l’interprétation et au jugement.

      Donc on peut jouer sur les normes pour améliorer l’image financière d’une société.

      Bonne soirée.

      Adrien

  2. En utilisant les capitalisations, et en trouvant un classement proche du votre, la HEC démontre l’efficience des marchés…!

  3. Très clair! il me semble que dans un passé lointain, vous aviez cité une ou deux banques françaises autres que martin maurel; serait-elle la seule banque française à être dans les clous aujourd’hui?
    Mais avec ces conclusions, ces bad banks devraient faire exploser les marchés et çà n’est pas le cas même si leur capitalisation boursière a fortement diminué. Une entreprise d’un secteur différent aurait déjà rendu l’âme…

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