Argent sain et argent non gagné dans la zone euro

L’argent sain est le premier pilier des Reaganomics, ce qui est évident pour tout monétariste normalement constitué mais totalement incompréhensible pour les barbares de la zone euro soumis à la propagande de la nomenklatura.

J’ai déjà expliqué à maintes reprises ce problème d’argent non gagné qui correspond à cette hypertrophie monétaire dans la zone euro mais j’y reviens brièvement pour les nouveaux lecteurs désirant bronzer moins idiot…

Au départ, le problème est essentiellement comptable. Ce bon vieux Greenspan expliquait toujours, quand il présidait la Fed, que certaines règles comptables en vigueur à un moment donné ne donnaient plus une image fidèle de la réalité, ce qui permettait l’apparition d’argent non gagné, c’est-à-dire le début de l’hypertrophie d’un agrégat monétaire avec par exemple le développement de bénéfices qui n’auraient pas dû être comptabilisés.

La solution est alors de créer une crise, ou plutôt une petite récession pour faire éclater cette bulle et en profiter pour imposer à la communauté financière l’adoption de nouvelles règles comptables empêchant sa réapparition.
Ainsi par exemple, il a réussi à mettre fin à l’amortissement possible sur une longue période (une dizaine d’années au moins) des survaleurs, c’est-à-dire des moins-values décelées a postériori lors de l’acquisition de start-up du type dot com au début des années 2000 et au non enregistrement de l’attribution de stock-options en tant que charges.

Le bombardier furtif B-2, Ben Bernanke, poursuit la même politique monétaire, mais dans un autre style. Ainsi, de graves dysfonctionnements se sont produits dans l’immobilier (des millions d’Américains ont pu devenir propriétaires de leur logement alors qu’ils n’auraient pas dû l’être) et dans les bénéfices des banques, d’où la crise dite des sub-prime puis l’effondrement financier après la faillite de la banque des frères Lehman.

De toute façon, B-2 veille sur l’essentiel : l’argent reste sain aux Etats-Unis, il n’y a pas d’hypertrophie monétaire, ce qui n’est pas le cas dans la zone euro où M1 représente maintenant 50 % du PIB contre 13 % aux Etats-Unis.

En France, l’une des sources les plus importantes de la création monétaire provient du non enregistrement des engagements de retraite dû essentiellement au système de retraite par répartition : des créances existent, mais elles ne sont pas comptabilisées, ni en contrepartie les capitaux ni les dettes pour les financer.
Ce problème a été bien visible lors du passage aux nouvelles règles comptables (IFRS) : la SNCF et EDF en particulier ont fait disparaitre des centaines de milliards de dettes grâce à d’opportuns décrets.

Conséquence : de l’argent non gagné circule en masse. Ce sont par exemples des salaires payés qui sont supérieurs à ce qu’ils devraient être (par rapport à une situation normale dans laquelle les engagements de retraite devraient être correctement comptabilisés), ce sont des billets de train et l’électricité qui sont vendus à des prix inférieurs à ce qu’ils devraient être…
Tout le monde en profite… pendant un certain temps. Ces dérapages ne se voient alors que dans l’augmentation de la masse monétaire. Comme un cancer, ce mal prend naissance et se développe sans autre manifestation détectable. Quand le mal devient visible, c’est trop tard pour y remédier sans dégâts majeurs et avec un risque létal très élevé !

Autre aspect : tout le monde profite de cet argent non gagné pour le dépenser en grande partie, ce qui stimule alors le PIB et aussi les importations. Le problème est alors aggravé par la monnaie unique : les excédents de l’Allemagne permettent, par transferts abscons, d’équilibrer la balance des paiements de la France.

Avant l’adoption de l’euro, les déficits commerciaux se manifestaient par une baisse des réserves en devises et donc de la parité du franc français par rapport aux autres monnaies de référence, dont le deutschemark.
Maintenant, depuis l’adoption de l’euro, ce mécanisme autorégulateur a disparu : les réserves en devises de la France restent miraculeusement bloquées à une cinquantaine de milliards d’euros depuis des années alors que le déficit commercial est de l’ordre de 5 milliards par mois !

Par ailleurs, la dégradation de la position nette de la France vis-à-vis de l’étranger est aggravée par le financement très important de la dette de l’Etat par des capitaux étrangers, ce qui contribue à rééquilibrer paradoxalement la balance des paiements.

Autre manifestation de l’hypertrophie monétaire : une grande partie de l’argent non gagné sert à acheter des logements dont les prix montent. D’après l’Insee, plus de la moitié de la valeur des biens immobiliers dépasse largement les coûts. Cette bulle immobilière éclatera un jour.

En Grèce, l’argent non gagné est a priori encore relativement (par rapport au PIB) plus important.

Pendant des années j’ai exposé en vain ces problèmes. Maintenant, c’est trop tard pour les résoudre en douceur.

En français, seul Charles Gave, tombé dans le chaudron du monétarisme quand il était étudiant, a bien compris et exposé ces problèmes. Il a fait ensuite le bon choix de s’établir à Hong Kong.
C’est grâce à lui que j’ai pu maitriser par la suite d’autres aspects du monétarisme, et je l’en remercie.

13 réflexions sur “Argent sain et argent non gagné dans la zone euro”

  1. Merci pour votre explication , c’est comme une entreprise qui gagne beaucoup mais qui n’investit pas pour le futur , dans le futur elle tombe. Ah je peux aller bronzer – idiot……….

  2. Bonjour,

    Merci pour ce billet très éclairant et qui résume bien la situation. Si cela peut vous consoler, j’ai rencontré hier (je participe à un jury d’admission dans une école de commerce) un enseignant d’économie qui partage vos vues (il y en a au moins un en France) et un étudiant qui savait ce qu’était Bâle III!!! Tout n’est peut être pas perdu.

    Bonne journée

  3. Nous les convertis au libéralisme monétariste, nous sommes peut-être peux nombreux en France au jour d’aujourd’hui, mais nous avons une force: nous sommes optimistes et actifs, car nous savons que le changement, la destruction créatrice, est créative justement!! Cela nous donne plus de force qu’aux éternelles pleureuses et illuminés catastrophistes qui font aujourd’hui un tabac sur les blogs (je ne citerai aucun noms, mais vous en connaissez tous!)! L’essentiel, c’est de gagner à long terme!

  4. RE , d’après vous et vos graphiques M1 M2 M3 sont bons aux USA après la correction 2008.
    M2,M3 sont bons en zone € , suite sans doute à la correction 2008 ?
    M1 est hyper de 3300 Md€ en europe , est ce représenté par la dette des états ?
    Dans quel agrégat monétaire se situe la dette d’état des USA ?
    L’idiot qui ne va pas aller bronzer au soleil. Bisous.

  5. Point de vue d’un économiste Jean-Pierre Vesperini, professeur des universités, membre du Conseil d’analyse économique, qui a me semble-t-il a un avis plus équilibré que le vôtre. En tout cas, je trouve son aanlyse moins péremptoire que la vôtre

    « Il faut dévaluer l’euro par rapport au dollar »

    Il y a un peu plus d’un an, la Grèce était sur le point de faire défaut sur sa dette. La Commission de Bruxelles et la Banque centrale européenne (BCE) élaborèrent alors un plan qui devait éviter ce défaut. Ce plan comportait deux volets. Le premier, destiné à couvrir le besoin de liquidité de la Grèce, consistait en un prêt de 110 milliards d’euros, dont 80 milliards étaient accordés par les Etats de la zone euro et 30 milliards par le Fonds monétaire international (FMI). Le second était constitué par un ensemble de mesures budgétaires restrictives (hausse de la TVA, baisse du salaire des fonctionnaires, gel des retraites et des embauches etc.). Ce volet visait à restaurer la solvabilité budgétaire de la Grèce afin qu’elle puisse à nouveau emprunter sur les marchés.

    Un an plus tard, la Grèce est toujours au bord de la faillite, mais dans une situation économique détériorée par la rigueur qui lui a été imposée et un endettement qui a encore augmenté. Face à cette situation dramatique que croit-on que la Commission et la BCE proposent à la Grèce ? De rejouer le même scénario, avec le même plan en deux volets : premier volet, les Etats de la zone euro sont invités à remettre environ 100 milliards sur la table. Second volet, les Grecs sont priés de se serrer encore davantage la ceinture et de vendre une partie du patrimoine de leur pays à l’encan.

    On peut sans difficulté prévoir que ce plan échouera comme on pouvait prévoir que le premier échouerait. Ce parce que la Grèce n’est plus solvable structurellement. La Grèce n’est plus solvable, parce qu’elle a perdu sa compétitivité. Et elle a perdu sa compétitivité parce que la monnaie européenne est surévaluée en raison de la politique de change adoptée par la BCE. On voit donc que la clé du problème de la Grèce ne se trouve pas dans la poche des contribuables des pays européens, ni dans de nouveaux sacrifices imposés au peuple grec ou dans la liquidation de son patrimoine.

    En vérité, la clé du problème se trouve entre les mains de la BCE. Car, de même que par sa politique monétaire, la BCE est la responsable, non pas unique mais essentielle, de la crise grecque, de même peut-elle, en changeant sa politique monétaire, résoudre la crise grecque et sauver l’euro. Ce changement doit comporter deux aspects : d’abord mettre fin à la surévaluation de l’euro, et la BCE a tous les moyens de le faire à condition d’en avoir la volonté. Ensuite, elle doit intervenir sur le marché des titres grecs de façon à faire baisser les taux d’intérêt sur la dette.

    Ici encore, elle a les moyens de le faire en pratiquant une politique d’assouplissement quantitatif, comme l’ont fait la Réserve fédérale ou la Banque d’Angleterre. La détente sur les taux grecs se transmettrait immédiatement aux taux des autres pays périphériques (Irlande, Portugal, Espagne) et allégerait ainsi la contrainte budgétaire pesant sur eux. Par ailleurs, une baisse substantielle de l’euro créerait une accélération considérable de la croissance de toute la zone euro, ce qui, entre autres effets favorables, constituerait un second moyen permettant de réduire le poids de la dette publique dans tous les pays européens.

    Certes, la baisse de l’euro conduirait à un accroissement du taux de croissance des prix. Mais cet accroissement serait très limité, étant donné le niveau élevé du chômage. La Grande-Bretagne, qui a dévalué sa monnaie d’environ 20 % par rapport à l’euro depuis le début de la crise financière au mois d’août 2007, enregistre un différentiel d’inflation par rapport à la zone euro limité à 1,6 %. Une légère accélération de l’inflation contribuerait également à réduire le poids de la dette publique.

    Par conséquent, le seul moyen efficace d’aider la Grèce consiste à amener la BCE à changer sa politique monétaire. Pour cela, la France doit refuser le plan proposé par la banque. Elle doit refuser de prêter son concours à un plan qui va enfoncer encore davantage le peuple grec dans le marasme et le dépouiller d’une partie de son patrimoine, ce qui compromettra ses chances futures de rétablissement. Comme elle doit refuser de continuer à donner des garanties à fonds perdus avec l’argent de ses contribuables.

    Par ce refus, la France doit mettre la BCE en face de ses responsabilités : changer de politique monétaire afin de résoudre la crise de la dette européenne ou accepter la désintégration de l’euro. Le changement de politique monétaire de la BCE correspond aussi à l’intérêt objectif de la France. Les industriels français savent que le taux de change correct de l’euro devrait être de 1,15 dollar pour 1 euro à plus ou moins 10 cents près. En fait, le taux de change actuel de l’euro ne convient qu’à l’économie allemande et aux quelques pays qui lui sont liés.

    Il est devenu insupportable pour la France, mais aussi pour l’Italie et pour l’ensemble des pays périphériques. Il est donc temps que la BCE adopte une politique monétaire qui ne soit plus au seul service de l’Allemagne et de ses alliés, mais qui soit au service de toute la zone euro.

    Lorsqu’il était candidat à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy avait jugé que le taux de change de l’euro était trop élevé et que la BCE devait s’efforcer de le faire baisser. Ce taux était alors de 1,36 dollar pour 1 euro. Près de cinq ans plus tard, malgré la crise de la zone euro, ce taux a encore progressé à 1,43 dollar, soit un gain supplémentaire de 5 %.

    Aucune action n’a été entreprise au cours du quinquennat pour faire baisser l’euro. La crise grecque donne donc au président et au Parlement français l’occasion de changer le cours de la politique monétaire de la zone euro et de servir ainsi les intérêts de la France et de la Grèce.

    Nous devons saluer le peuple grec d’avoir le courage de se révolter contre le plan sans issue auquel la Commission et la BCE veulent le soumettre et d’affirmer sa volonté de rester libre. Que les Grecs se souviennent que ce sont leurs ancêtres qui ont inventé le mot de liberté sans lequel la civilisation européenne n’existerait pas et que c’est l’un de leurs historiens, Thucydide, qui a écrit : « Il n’y a pas de bonheur sans liberté, ni de liberté sans vaillance ».

    Jean-Pierre Vesperini, professeur des universités, membre du Conseil d’analyse économique

  6. Jeudi 23 juin 2011 :
    La réunion des ministres des Finances européens n’a pas du tout rassuré les investisseurs internationaux.
    Les taux des obligations d’Etat continuent à exploser.

    Portugal, Irlande, Grèce : des records historiques ont été battus aujourd’hui.

    Concernant ces trois Etats en faillite, les courbes des taux sont inversées !

    Portugal : taux des obligations à 2 ans : 14,392 %. Record historique battu.
    Portugal : taux des obligations à 3 ans : 15,320 %. Record historique battu.
    Portugal : taux des obligations à 10 ans : 11,424 %. Record historique battu.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GSPT10YR:IND

    Irlande : taux des obligations à 2 ans : 13,702 %. Record historique battu.
    Irlande : taux des obligations à 3 ans : 15,162 %. Record historique battu.
    Irlande : taux des obligations à 10 ans : 11,788 %. Record historique battu.

    Grèce : taux des obligations à 2 ans : 28,636 %.
    Grèce : taux des obligations à 3 ans : 29,528 %.
    Grèce : taux des obligations à 10 ans : 16,876 %.

  7. Donc dettes d’états et hypertrophie M1 ne se cumulent pas ?
    Peut on penser que hypertrophie M1 est incluse dans dettes d’états , ou ce n’est pas comparable ?

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